Regarder, simuler, faire, voir, refaire (2)

Proposition d’un modèle de formation pratique

En pratique chirurgicale, la séquence de formation « Regarder, Simuler, Faire, Voir, Refaire » me semble être la plus adaptée parce que c’est elle qui implique le plus l’enseignant et l’étudiant avec, à la fois, sécurité, attractivité et enrichissement mutuel. Bien qu’il n’y ait là aucune révolution pédagogique, je suis persuadé que très peu de jeunes chirurgiens ont débuté leur formation avec, à l’esprit, une chronologie claire du chemin à parcourir. Pire, je doute même que beaucoup de formateurs y aient réfléchi eux-mêmes. Cette banale séquence « Regarder, Simuler, Faire, Voir, Refaire » demande donc à être expliquée pour être suivie. Plus que tout, une fois comprise, elle doit être gardée à l’esprit et méditée lors de chaque succès et de chaque échec marquant, rencontrés sur le parcours.

« Regarder » c’est déjà absorber une part de savoir chirurgical et rien ne remplace cette observation du geste opératoire. Regarder, ce n’est pas seulement voir. C’est une vision participative, active, de l’élève. Encore faut-il apprendre à regarder ; là est le rôle du formateur : il ne laisse pas l’élève voir, il lui montre, et sa démonstration est construite sur des objectifs pédagogiques qui suivent les progrès de l’élève. Au fur et à mesure de son travail, il fait passer des informations adaptées en donnant des commentaires, en montrant ou en décomposant un geste complexe. Il montre et il vérifie, au fur et à mesure ou à posteriori, que le regard de l’élève se soit bien porté sur les points essentiels, qu’il n’ait pas été détourné par un détail. Cet apprentissage de l’observation, au côté de l’enseignant, n’est pas une exclusivité du temps opératoire. Si l’étudiant prend l’habitude d’observer au bloc opératoire, il gardera cette capacité lors de chaque soin, de chaque consultation : le regard sur le patient renseigne autant voire même plus que l’écoute et celui qui sait regarder acquiert un atout clinique supplémentaire. Au bloc opératoire, regarder c’est chercher l’essentiel ; ne pas se laisser distraire par le spectaculaire et organiser ses découvertes en paliers successifs de complexité. On commence par embrasser une scène chirurgicale, en saisir le sens, le contexte puis on s’enfonce dans les détails de façon plus ou moins logique, parfois désordonnée au début. Le fait d’assister à une même séquence de façon répétée rend le regard de plus en plus pertinent mais sans pour autant le rendre infaillible : certes, l’observateur sait de mieux en mieux ce qu’il doit observer pour progresser mais parfois la répétition éteint la vigilance surtout si le regard utilise un seul et même angle de vue qui masque des étapes-clés de la progression du geste. Ainsi l’itération « Regarder, Simuler, Faire, Voir, Refaire » prend tout son sens : l’observateur doit changer de place autour du site opératoire, il doit changer de rôle et devenir un acteur pour apprendre à regarder.

« Simuler » apparaît comme un élément nouveau dans la formation en Santé, en particulier depuis que court le slogan lancé en 2012 par la Haute Autorité de Santé : « jamais la première fois sur un patient » signifiant que tous les gestes agressifs doivent faire l’objet d’un apprentissage de la part de l’élève-soignant sur mannequin, sur modèle virtuel, animal ou anatomique. En réalité, la formation par simulation n’est pas une innovation et, depuis des siècles, des chirurgiens s’entraînent ainsi sur des pièces cadavériques dans les laboratoires d’anatomie des facultés de médecine. Le terme consacré à ces exercices était autrefois celui de « médecine opératoire ». Cette habitude a été perdue au cours du vingtième siècle pour revenir s’imposer aujourd’hui sous une autre forme. Dans toutes les disciplines, la simulation avant l’action sur le patient est devenue une règle éthique. Des centres de simulation, véritables plates-formes de pédagogie et de recherche, se créent dans tous les centres universitaires et même dans des centres privés. Depuis les dissections sur cadavres jusqu’aux outils d’immersion numérique, le cheminement a été long, la pédagogie a été bouleversée sans que la dissection anatomique perde sa place. La qualité de la simulation numérique va grandissant avec un réalisme de plus en plus crédible et des représentations de gestes de plus en plus complexes. En formation, l’élève utilise la simulation avec un pré-requis de connaissances théoriques. Il doit ensuite avoir observé le geste correspondant et participé plusieurs fois à sa réalisation. Sur le simulateur, il travaille sa gestuelle et ses réflexes. Il répond aussi à des aléas générés par le programme pédagogique. Il peut s’entraîner seul ou en groupe. Dans cette démarche, l’élève est encadré et il vise des objectifs à atteindre et une évaluation. Sans eux, la séance de simulation ne garderait qu’un intérêt ludique peu formateur. Lorsqu’il simule une procédure, l’étudiant est acteur et au cours de cette action, son regard considère le geste avec un point de vue nouveau qui lui permet de découvrir des détails insoupçonnés jusqu’alors.

« Faire » c’est opérer en premier. Pour l’apprenti, c’est, l’espace d’un geste, « remplacer le maître » et essayer de reproduire ce qu’il a observé au cours des premières étapes et qu’il a simulé ensuite. Se mettre dans la peau du chirurgien offre un angle de vue nouveau sur le site opératoire. La dimension émotionnelle modifie encore le regard porté sur le geste chirurgical et elle permet de rencontrer des facilités ou des difficultés non imaginées. Mais le véritable bénéfice de l’exercice ne s’acquiert à posteriori qu’à la condition d’analyser le « faire » lors d’une autocritique et lors d’un échange avec l’enseignant : pourquoi ai-je rencontré tant de difficultés pour réaliser un acte auquel j’ai assisté des dizaines de fois et qui me paraissait simple? Est-ce un défaut de savoir ou de savoir-faire? Qu’ai-je négligé dans mes observations premières? L’élève, de lui-même, souhaite alors redevenir observateur pour comprendre et le fait de rendre ses outils au maître et de reprendre sa place d’élève n’est pas vécu comme une régression. Au contraire, cette expérience en tant qu’opérateur-en-premier apparaît parfois comme un franc succès. Les interrogations n’y sont pas superflues pour autant : pourquoi l’intervention s’est-elle bien déroulée? Ai-je été conscient des risques maîtrisés ou ai-je réussi naïvement avec la « chance du débutant »? Si l’élève s’est affranchi honorablement de sa première prestation, le rôle de l’enseignant est surtout de le rassurer et de le conforter dans son estime de lui-même même si ces encouragements doivent être excessifs. Les détails correctifs arrivent plus tard, lors d’une seconde ou troisième fois, pour lui laisser le temps de fluidifier, d’épurer son geste. Viennent alors l’évocation et la démonstration des défauts qu’il n’a pas vus. Là encore, d’un commun accord, les opérateurs décident de reprendre chacun leur place le temps d’une nouvelle intervention pour que l’élève participe à une nouvelle séance d’observation avec un regard neuf et des objectifs bien définis.

« Voir » de nouveau, après ces phases d’observation, de simulation, d’action, est une chance supplémentaire d’observer avec une lucidité accrue. C’est une focalisation sur les incompréhensions et les échecs vécus précédemment. Ce retour à l’état antérieur d’aide opératoire n’est pas un recul. Il est même excitant de reprendre sa place de l’autre côté du champ opératoire, face à l’expert, et de scruter son travail comme le ferait un enquêteur à la recherche du détail qui révèlera la clé de l’énigme. Cette étape est positive pour l’élève curieux qui va regarder comme il ne l’a jamais fait auparavant. Elle est aussi positive pour l’enseignant qui découvre qu’il a encore un rôle à jouer et qu’il doit se surpasser car il va être observé par un spectateur concentré. Leur niveau d’attention à tous les deux est tiré vers le haut. Fort de la compréhension de ces détails, l’élève sent qu’il vient de progresser. Comme après une révélation, il est prêt à assumer de nouveau le rôle d’opérateur en premier pour mettre la leçon en application. Il ne faut pas le décevoir et rapidement lui donner cette nouvelle opportunité si l’on veut voir fructifier ces nouveaux acquis.

« Refaire ». Le cycle doit donc reprendre. L’élève redevient acteur sous le contrôle de l’enseignant. Un temps, il met en pratique toute cette expérience théorique et gestuelle accumulée pour des interventions de plus en plus difficiles, plus techniques ou plus urgentes. Immanquablement, dans cette progression, il rencontrera de nouvelles difficultés qui demanderont à chaque fois de nouvelles séances d’observation jusqu’à ce que le formateur considère que son rôle est terminé, lorsque l’élève est devenu prêt à assumer toute éventualité ou lorsqu’il lui faut se spécialiser dans telle ou telle technique auprès d’un autre enseignant.

échanger les rôles

Cet apprentissage par cycles, par itérations, sert autant le maître que l’élève. Il stimule tout le système éducatif chirurgical. Il affirme le rôle pédagogique du chirurgien sénior : on a vu combien l’encadrement exigeait d’attention lors de la surveillance et de la démonstration, combien cet échange de rôles était valorisant pour lui. Il en est de même pour la qualité de sa pratique professionnelle : un chirurgien expert, qui exécute et re-exécute la même opération trop souvent, peut s’enfermer dans une boucle stérile, voire dans l’amplification d’un défaut initialement mineur. Le fait de laisser sa place à l’élève, de le voir agir, de découvrir ses faiblesses et ses points forts force le professeur de chirurgie à réfléchir à son propre geste, à l’expliquer, à le remettre en question et à l’épurer pour le bien du patient.

Regarder, simuler, faire, voir, refaire (1)

Actualité de la formation chirurgicale

Tout métier manuel à risque demande un apprentissage technique long et exigeant. Ainsi, la chirurgie attend du maître comme de l’élève disponibilité et patience. Cet apprentissage est particulier, proche d’un compagnonnage dans lequel le maître et l’élève ont déjà un métier. En chirurgie, « enseignant » et « étudiant » sont déjà, tous deux, des soignants à part entière. A cause de cela, le maître face à son élève peut avoir l’impression de perdre un temps précieux qu’il pourrait consacrer à plus de patients et l’élève, lui, peut avoir l’impression de piétiner en attendant de se voir confier les pleines responsabilités de l’acte. Rien n’est plus prévisible. Rien n’est plus humain. Il faut pourtant bâtir cette formation chirurgicale autour de contraintes : contrainte hiérarchique, contrainte éthique, contrainte temporelle… Aujourd’hui, dans la formation chirurgicale, le temps est l’élément le plus discuté ; le temps où l’enseignant n’est pas disponible pour les patients qui l’attendent et le temps où l’étudiant piaffe de ne pas être un acteur autonome. Le maître, l’élève mais aussi le système éducatif et la société toute entière doivent accepter cette contrainte suprême du Temps : former un chirurgien prend du temps et par là-même, coûte en moyens humains et financiers.

apprentissage de l’asepsie : le lavage des mains

Raccourcir la durée de la formation est une illusion qui ne fait rêver que l’élève impatient de bien faire et la société impatiente de faire à moindre coût. Autre illusion dangereuse, celle qui consiste à déléguer l’enseignement à des simulateurs de réalité virtuelle devant lesquels le jeune chirurgien serait en auto-apprentissage plus ou moins surveillé. Certains imaginent pouvoir naïvement lâcher l’élève dans un centre d’entraînement par simulation et le laisser travailler comme il jouerait sur une console de jeux vidéos. Rares sont ceux qui apprendront seuls, livrés à eux-mêmes. Ils pourront acquérir une connaissance théorique et une maitrise gestuelle mais décontextualisées et dénuées de toute humanité. Ces outils pédagogiques modernes sont prodigieusement efficaces mais ils restent des outils et ils ne dispensent pas des efforts et de la présence de l’enseignant. Bien au contraire, leur conception en est encore à un stade où ils consomment des ressources humaines, bien plus que lors d’un enseignement classique. Aveuglée, notre société néglige ainsi deux risques : aboutir à une formation écourtée de qualité moyenne ou aboutir à une formation performante mais dans un champ d’action très réduit. Dans le premier cas, seuls les plus doués sortiront du lot et laisseront leurs collègues à la traîne, comme des praticiens mal préparés pour offrir une chirurgie à deux niveaux tristement contrastés. Dans le deuxième cas, les jeunes recrues seront brillantes mais confinées chacune dans un domaine spécialisé et il faudra trois ou quatre élèves pour couvrir le domaine d’excellence d’un seul enseignant. Aucun centre chirurgical secondaire ne pourra alors recruter une équipe d’opérateurs assez large pour répondre aux besoins des patients et sera condamné à disparaître ou à ne prendre en charge que des activités mineures, peu attractives pour les patients et pour les soignants eux-mêmes.

apprendre seul sur un simulateur de réalité virtuelle

Les connaissances médicales, les outils chirurgicaux, les modalités d’exercice changent, la formation chirurgicale dans son ensemble doit changer. Le système éducatif qui a fait ses preuves dans un contexte différent doit être optimisé sans altérer la qualité de ses jeunes promus. Il peut être revu dans ses fondamentaux mais il semble difficile et dangereux de le raccourcir. Il faut encourager l’enthousiasme des élèves. Il faut lutter contre des soi-disant chefs d’école chirurgicale ancrés dans une formation archaïque, sans objectifs pédagogiques clairs, sans logique d’évaluation, sans mise en situation raisonnée. Il faut homogénéiser les modes de formation en étant bien conscient qu’en certains lieux, des freins existent encore avant la mise en responsabilité des élèves. Les freins imposés par l’enseignant expriment sa peur de déléguer, son manque de confiance en lui-même, son manque de temps ou simplement le désir de rester maître de la situation. L’optimisation doit donc passer par la formation des maîtres et leur accompagnement. Le sens de la pédagogie ne repose que très peu sur une prédisposition même si certains sont doués ou ont de l’appétence pour la pédagogie. On ne peut pas forcer un chirurgien à être pédagogue car le résultat sera toujours catastrophique mais si, au contraire, il en énonce le souhait, il faut lui donner les moyens d’enseigner c’est-à-dire, avant tout, le former et reconnaître son rôle sociétal même si sa charge de soins et sa production scientifique doivent en être réduites. Le plus passionné des enseignants s’épuisera vite face à l’indifférence de ses institutions de tutelle surtout si celles-ci surveillent de près ses actes de soins et lui reproche son mauvais « rendement » clinique.

Pour les comptables chargés de quantifier les soins prodigués dans un centre hospitalier universitaire, le temps consacré à la pédagogie est un temps évidemment perdu. Rien ni personne ne les sensibilise à la pédagogie. Il faut être un investisseur à long terme et surtout un investisseur clairvoyant pour en comprendre l’importance… ou bien avoir subi une expérience personnelle révélatrice. Chaque gestionnaire d’établissement de santé, chaque comptable, chaque politique devrait s’envisager comme un futur utilisateur direct ou indirect de ce même système de soins, pour lui même ou pour ses proches, et la pédagogie retrouverait alors sa place dans le décompte du temps passé. Il faudrait surtout qu’il s’envisage comme un utilisateur non privilégié : combien d’entre eux, une fois confrontés à la maladie ou à la blessure, espèrent pouvoir bénéficier de la prise en charge la plus rapide, la plus sûre et la plus confortable et ainsi, par des ayant-droits, échapper au système imparfait qu’ils ont aidé à construire.

Le patient lui-même a ses torts quand il réclame une prise en charge experte, immédiate, irréprochable, dans laquelle il ne tolère aucune erreur. Malheureusement il est pris dans un engrenage sociétal démagogique qui lui promet le meilleur système de santé au monde avec excellence, disponibilité et gratuité. Aucune communication n’est faite sur l’importance de la pédagogie en Santé (ni même sur la pédagogie en général) au point de confondre délégation et formation. Des études médicales, on ne communique que sur le fiasco de la sélection en première année et les injustices de l’examen classant final. Comment le patient pourrait-il être convaincu qu’en acceptant à son chevet un étudiant, il participe à un effort d’enseignement et qu’il aide à construire ainsi le système de soins de demain. Il devrait être rassuré quant à sa sécurité par la connaissance des moyens humains et matériels mis à disposition pour former les jeunes soignants et par la démonstration d’un effort collectif pour cette formation.

à suivre…

Un instrument inutile est un instrument dangereux

Dans le champ opératoire, un instrument inutile est un instrument en trop. Un instrument en trop encombre, il peut être accroché, il peut gêner un geste essentiel. Un instrument en trop est un instrument dangereux.

Avec le souci de limiter le traumatisme chirurgical, les voies d’abord opératoires sont de plus en plus souvent exiguës. Le point exact à opérer en devient profond et mal exposé. Le moindre instrument que l’on ajoute pour aider le geste technique diminue encore les possibilités d’accès. Le chirurgien aimerait palper ou tout au moins entrer en contact le plus directement possible avec sa cible mais ses outils qui se veulent utiles, se comportent comme autant d’obstacles supplémentaires par l’enchevêtrement qu’ils créent. Le chirurgien doit apprendre à maîtriser l’évolutivité du champ opératoire. Par exemple, à un instant précis de l’opération, il a fallu introduire un écarteur pour mieux voir et pouvoir progresser. Cet écarteur reste en place de longues minutes puis il est oublié et ne sert plus car le passage délicat a été franchi. Il fait inutilement partie du champ opératoire, insidieusement il devient invisible tant l’attention est portée sur l’acte chirurgical et pas assez sur son environnement. Les berges sont écartelées aux quatre points cardinaux alors que l’opérateur ne travaille plus que dans une seule direction. S’il diminuait la traction dans la direction opposée à sa progression, il verrait mieux et plus loin.

Opérer, c’est remettre en question régulièrement le rôle de chaque acteur et de chaque outil qui participent à l’acte chirurgical.

Il faut se méfier de ce qui dure et de ce qui a trop duré. L’écarteur devenu superflu prend de la place, une place précieuse qui pourrait être utilisée pour faire entrer un peu de lumière au fond du puits où l’on travaille… ou pour y faire entrer un nouvel instrument plus performant. D’inutile, l’écarteur devient nuisible : il peut blesser les berges de la plaie, entraîner des contusions ou des nécroses tissulaires, gêner la circulation sanguine par écrasement prolongé, engendrer de l’inflammation et des douleurs post opératoires, faciliter des infections du site. S’il est de nature métallique, l’écarteur peut conduire un courant électrique lors de l’utilisation du bistouri monopolaire. Par son encombrement, il peut empêcher l’aide opératoire d’intervenir dans l’urgence pour contrôler un saignement brutal. Des fils de ligature peuvent y être piégés. Enfin, un instrument inutile peut être heurté ou accroché involontairement et, indirectement, il peut être responsable du traumatisme d’un viscère ou d’un vaisseau. On voit parfois de ces champs opératoires remplis de pinces diverses ; elles ont servi à saisir une paroi, un viscère pour les soulever, les déplacer, pour stopper un saignement mais une fois leur rôle terminé, elles encombrent l’espace de travail. Tout instrument chirurgical contient une part d’efficacité et une part d’agressivité et il doit en permanence être surveillé. Les risques sont d’ordre mécanique, thermique ou électrique : perforation, déchirure, brûlure, électrocution… Multiplier les instruments augmente les risques de blessures collatérales en échappant à la vigilance du chirurgien et de ses aides.

Opérer, c’est tendre vers une simplification du geste technique et vers un dépouillement du champ opératoire. Lorsqu’un instrument a fini de jouer son rôle, il doit être retiré.

Se préparer à toutes les déceptions / Getting Prepared to All the Deceptions

Apprendre à exercer la chirurgie c’est aussi apprendre à être déçu. Il n’y a là rien de pessimiste, au contraire, et ne pas tout espérer d’une carrière ne la dévalorise pas pour autant et n’empêche pas de s’y investir corps et âme. Réfléchir à ses motivations permet de se connaître soi-même et permet d’apprendre à aimer simplement un métier sans en attendre remerciements et louanges et sans compter sur un succès constant. L’important étant de se préparer à ses déceptions pour apprendre à moins souffrir sans perdre ni sa foi ni son empathie.

La première cause de déception d’un jeune chirurgien est le constat d’échec face à la reprise de la maladie malgré les soins, tout au bout, face à la mort du patient. La mort croise le chemin de tout étudiant en médecine. Il la découvre souvent très tôt au cours des études et celui qui s’imaginait sauver des vies apprend vite à les perdre. La déception qui frappe le jeune chirurgien grandit encore au fur et à mesure qu’il devient lui même responsable du patient. Lorsqu’il s’est investi moralement et physiquement pour son patient, lorsqu’il a cru lui être sincèrement utile, il va souffrir devant l’échec d’une opération qu’il croyait réussie, la progression d’un cancer qu’il croyait vaincu. Cette souffrance va décupler encore si le cancer est vaincu, si l’opération a atteint son but théorique mais si elle est elle-même responsable de complications mortelles. Il y a déception si les efforts ont été vains et plus encore si les efforts ont été nuisibles. L’acceptation de l’échec est toujours difficile, l’inverse serait inquiétant, elle prouve le degré de responsabilité du chirurgien, son niveau d’engagement. Elle est nécessaire car elle doit servir de prétexte à une violente remise en question. Cette profonde réflexion aide à accepter l’horreur que toute chirurgie est bien un combat perdu d’avance dans lequel le chirurgien ne fait qu’offrir un confort transitoire ou une guérison qui n’est jamais qu’une rémission face au temps. Sans cette prise de conscience, le chirurgien ne peut pas relativiser son rôle, choisir la bonne indication, accepter ou refuser d’intervenir. Il ne peut pas sainement estimer le rapport bénéfice-risque d’une opération pour un patient donné.

La seconde cause de déception est la perte d’estime que le chirurgien attendrait de la part de la société, son manque de reconnaissance tant le soin est dû et banalisé comme n’importe quelle prestation de service. Je ne crois pas qu’un étudiant se lance aujourd’hui dans une carrière chirurgicale en espèrant y apprendre une profession qui le couvrira de gloire et suscitera l’admiration de tous. Celui qui prend le risque, de nos jours, de se lancer dans cette longue carrière est probablement encore plus méritant que l’élève chirurgien du vingtième siècle. Il y a encore cinquante ans, un chirurgien à la sortie de la faculté se savait assuré d’un prestige qui le mettrait à l’abri des doutes qu’il pourrait avoir un jour sur son rôle social. Le jeune chirurgien du vingt et unième siècle, consciemment ou non, a le droit d’imaginer recevoir des remerciements de la part de ses patients et de la considération de la part des gestionnaires de l’offre de soins. Cela n’est malheureusement pas souvent le cas et il ne doit compter que sur la satisfaction d’avoir réalisé la bonne intervention qui rend service au patient. Une fois le devoir accompli, il doit accepter d’être jugé sur son résultat final sans que les efforts réalisés en chemin ne soient appréciés à leur juste valeur. Parfois, des remerciements arrivent et, ce qui en fait leur charme, c’est qu’ils ne proviennent pas forcément des patients qui lui ont demandé le plus gros investissement. Ce sont alors des remerciements sincères, pour un geste chirurgical simple, avec un enjeu vital modeste, mais des remerciements inattendus et d’autant plus réconfortants. Un patient peut même être reconnaissant malgré un geste technique imparfait, incomplet et une absence de guérison. C’est cette dissociation particulière qui le comblera, qui le confortera dans son effort de soin et qui entretiendra sa propre estime.

La formation chirurgicale doit préparer un élève à ses déceptions, à ses échecs. C’est un objectif pédagogique essentiel mais inavoué : apprendre à ne jamais baisser la garde de ses défenses morales car l’échec survient à tout moment, y compris entre les meilleures mains, entre les mains les plus expertes. Il s’agit donc d’une leçon de lucidité pour le confort moral du soignant et pour améliorer encore la relation entre soignant et soigné. A travers cette douloureuse leçon de vie, le jeune chirurgien doit comprendre qu’en se souciant d’une meilleure communication avec le patient, il pourra en attendre une meilleure considération et des liens plus forts et personnalisés, des liens que notre société ne cesse de fragiliser.

Learning to do surgery is also learning to be disappointed. There is nothing pessimistic here – on the contrary; not expecting everything from a career does not devalue it either, as it does not prevent from fully committing yourself. Thinking about your motivations allows you to know yourself and to learn to simply love a job without waiting for thanks and praises and without counting on constant success. What is important, is to prepare for disappointments to learn to suffer less without losing either your faith or your empathy.

The first cause of disappointment for a young surgeon is the observation of failure in the face of the resumption of the disease despite the care, or even in the face of the patient’s death. Death crosses the path of any medical student. They often discover it very early during studies and whereas they imagined themselves saving lives, they quickly learn to lose them. The disappointment that strikes young surgeons grows gradually as they become responsible for the patient themselves. When they fully commit themselves to their patients, when they believe to be sincerely useful to them, they will suffer from the failure of an operation which they believed successful, the progression of a cancer which they considered defeated. This suffering will increase even more if the cancer has been cured or if the operation has reached its theoretical goal, but it leads to fatal complications. There is disappointment if the efforts have been in vain and even more so, if the efforts have been harmful. Accepting failure is always difficult, the reverse would be worrying, it proves the degree of responsibility of the surgeon, his level of commitment. It is necessary though because it must serve as a pretext for a torturing self-questioning. This deep reflection helps to accept the consternation that all surgery is indeed just a fight lost in advance, in which the surgeon only offers a temporary comfort or a healing, which is never anything but a remission in the face of time. Without this awareness, the surgeon cannot put his role into perspective, choose the right indication, accept or refuse to intervene. He cannot estimate well the benefit-risk ratio of an operation for a given patient.

The second cause of disappointment is the loss of esteem that the surgeon might have expected from the society, the lack of recognition as medical care is taken for granted and is trivialized like any other service. I don’t think students of today are embarking on a surgical career hoping to learn a profession that will cover them with glory and to earn everyone’s admiration. Whoever takes the risk nowadays of getting on the path of this long career is probably even more worthy than a surgeon student of the twentieth century. Even fifty years ago, surgeons at the end of their studies were assured to have the prestige protecting them from the doubts they might one day have on their social role. Young surgeons of the twenty-first century, consciously or not, may imagine getting gratitude from their patients and consideration from the managers of the healthcare system. Unfortunately, this is not often the case and they should only count on the satisfaction of having performed the right intervention in the patient’s favour. Once their duty is fulfilled, they should accept to be judged by the final result, without all the efforts made along the way being fully appreciated. Sometimes they will still get the expression of gratitude, and what makes it charming is that it doesn’t necessarily come from the patients who required the highest commitment. These are sincere thanks, for a simple surgical gesture, with a modest vital stake, but unexpected and all the more encouraging. A patient can even be grateful despite an imperfect, an incomplete technical gesture and the absence of healing. It is this dissociation that will fulfil surgeons, encourage them in their efforts and maintain their self-esteem.

Surgical training must prepare a student for these disappointments and failures. It is an essential but unacknowledged educational objective: to learn never to lower the guard of your moral defence because failure occurs at any time, even in the best hands, in the most expert hands. This learning is protective for the moral comfort of the caregiver and it has a positive impact on the further improvement of the relationships between the caregiver and the patient. Thanks to this hard lesson in life, young surgeons have to understand that through a better communication with their patients, they will be able to expect a better recognition from them and some stronger and more personalized connection with them, these connections that keep on weakening in our society.

Philosophie chirurgicale?

Le terme de « philosophie chirurgicale » est sûrement mal choisi et peut paraître prétentieux. Il est emprunté à René Leriche (La Philosophie de la Chirurgie, Flammarion 1951) et à Pierre Jourdan qui se sont d’ailleurs affrontés sur ce terrain. Il n’est pas question d’intellectualiser à l’extrême le geste chirurgical chez le tout jeune chirurgien. Cela ne lui rendrait pas service. Il ne doit pas commencer son apprentissage en se perdant dans ses pensées mais en agissant. Il ne faut pas inhiber son geste opératoire encore fragile par une méditation stérile à ce stade. Un jour peut-être, ou peut-être pas, une réflexion profonde le touchera, spontanément, au cours de sa carrière. Cela n’est pas nécessaire pour être un excellent chirurgien et un chirurgien heureux mais par contre, cela le devient s’il se destine à la formation chirurgicale des jeunes chirurgiens ou des personnels infirmiers de bloc opératoire.

Je ne suis pas sûr que les mots « philosophie chirurgicale » soient les plus adaptés à ce que je veux évoquer ici mais comment nommer la démarche intellectuelle qui est celle du chirurgien au cours du geste chirurgical. L’état d’esprit sur lequel je veux insister est bien le vécu du chirurgien en action, au bloc opératoire. Son ressenti, c’est l’équilibre ou au contraire le déséquilibre entre, d’une part la prise de conscience de la réalité du patient allongé devant lui et, d’autre part, la maîtrise du geste guidée par des règles de conduite ou de procédure. Équilibre ou déséquilibre entre ce qui procède de la sécurité et ce qui procède du bon sens. Équilibre fragile entre le bien et le mal qu’il peut infliger au patient, entre l’agression obligatoire et le soin qui soulage. La philosophie chirurgicale, c’est aussi une dynamique mentale permanente qui oscille entre anatomie normale et anatomie pathologique, qui oscille entre considérations macroscopiques et considérations microscopiques, qui oscille entre le vivant concret et sa représentation médicale radiologique. Cette agitation contrôlée est caractéristique du moment chirurgical lui-même. C’est elle qui adapte le geste en temps réel. La différence entre « geste adapté » et « geste théorique » peut être minime, jouer sur des détails : en cours d’intervention, il arrive par exemple de modifier sensiblement la taille ou la position d’une incision, de changer d’instrument ou de matériel à implanter. A l’opposé, cette différence peut être capitale et perturber le pronostic du patient : la découverte imprévue d’une extension cancéreuse pour une tumeur, des difficultés anesthésiques, une décompensation cardiaque ou rénale du patient doivent faire reconsidérer le geste prévu et le service à rendre au patient. De là découlent des choix à faire et des décisions majeures à prendre : l’intervention est alors modifiée, écourtée ou même suspendue dans l’intérêt du patient.

Tout enseignant en chirurgie doit avoir réfléchi au travail mental qu’il fournit au cours de l’action chirurgicale et l’idéal, pour celui qui envisage une carrière universitaire, serait même de mener à bien cette réflexion avant de commencer à enseigner. Pourtant, en pratique, cela ne se passe jamais ainsi car les charges d’enseignement tombent petit à petit sur ses épaules : d’abord donner quelques cours dans des écoles de soins infirmiers, puis tutorer des étudiants en médecine plus jeunes que lui, puis encadrer des externes, jusqu’à la responsabilité finale de gérer une discipline toute entière avec les élèves qui y sont inscrits. C’est souvent lorsque que le professeur enseigne depuis plusieurs années qu’il éprouve le besoin de ce retour sur lui-même et c’est alors seulement que son enseignement va se transformer et se bonifier. S’il veut transmettre un message, le professeur de chirurgie doit nécessairement réfléchir à ses actes, à ses gestes, se demander pourquoi est-ce qu’il les fait ainsi, de telle façon et dans tel ordre. Il doit prendre du recul sur son métier et sa vie professionnelle en général. Il doit essayer de comprendre la motivation de chaque geste pour échapper à ses automatismes et pouvoir transmettre des règles. Quel que soit l’effort que cela représente, il ne pourra sortir que grandi de cette analyse.

Sortie du cadre de la formation des plus jeunes, cette pensée chirurgicale n’est, encore une fois, pas indispensable pour prendre en charge un patient et le traiter avec la rigueur scientifique et l’humanité qui s’imposent. Un acte chirurgical peut être imprégné par ces valeurs sans que le chirurgien n’y ait réfléchi, sans aucun effort mental particulier de sa part. Cette rigueur, cette humanité peuvent être innées comme les fruits de son inconscient ou modelées par des années de formation. Peu importe, je reste persuadé que cette réflexion émerge un jour dans son esprit, inévitablement, parfois très tard, après la fin de sa carrière ou plus tôt dans un douloureux moment de doute après un échec chirurgical ou un surmenage. Si elle survient en plein milieu d’une carrière professionnelle, elle sera déterminante et épanouissante comme un nouveau départ et c’est d’elle que viendront les vrais progrès techniques et humains du chirurgien. Rien n’empêche à un enseignant de chirurgie de provoquer cet orage philosophique dans la tête de son élève s’il le juge mûr et lui lancer par exemple : « T’es-tu déjà demandé pourquoi est-ce que tu réalisais ce geste, à ce moment précis, chez ce patient précis? ».

Un jeune chirurgien peut avoir conscience des réflexions philosophiques qui traversent l’esprit de l’enseignant qu’il est en train d’aider mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas tant il est assailli par beaucoup d’autres informations sensorielles ou affectives, du début à la fin de l’intervention, et plus l’intervention est chargée de stress et de sueur, plus son esprit est distrait. Pour le professeur, une technique pédagogique efficace est d’ouvrir son esprit, de raisonner à voix haute et ainsi de laisser échapper des messages qui peuvent être saisis au vol par l’élève.

Le premier et le plus important de ces messages est d’apprendre à maîtriser toutes ces informations en laissant son esprit aller de l’une à l’autre en les priorisant mais en permettant à ce degré de priorité d’évoluer en temps réel. Même si souvent, pour des interventions simples, fréquemment réalisées, ces points tombent dans le domaine de l’automatisme, du geste réflexe, il faut apprendre à ne jamais baisser le degré de vigilance. Pour cela, il faut jouer sur les détails, les contextes pour échapper à la routine et être prêt pour l’imprévu : il faut partout chercher les détails humains, anatomiques ou contextuels qui rendent unique l’intervention en cours, comme si on la réalisait pour la première fois.

Le piège est de focaliser son esprit sur le site opératoire en oubliant le patient, son histoire et les relations que l’on a construites avec lui, particulièrement si des difficultés surviennent (et encore plus si ces difficultés présentent un risque vital). L’inverse aussi est dangereux : garder en tête tout ce que l’on sait du patient ou parfois du personnel présent autour du site opératoire et perdre de vue ne serait-ce qu’un instant le geste et son but.

A aucun moment, il ne faut avancer dans une seule direction et ne se laisser entraîner ni vers la technique pure, ni vers une « humanité théorique totale » dont parle Jourdan. Lorsqu’il parle du chirurgien qu’il est, il dit ceci : le chirurgien « ne peut assumer toute l’humanité que propose un aussi terrible métier. L’humanité théorique totale supposerait que nous sachions effectivement tout de notre malade, de sa famille, de ses liens humains, que nous le préparions inlassablement à l’épreuve chirurgicale, que nous prenions en main les inquiétudes de sa femme, de son entourage, de ses amis, que nous soyons à son chevet sans interruption… puisque entre lui et nous s’est établi le lien du sang ». Ne se focaliser ni sur son artisanat ni sur son humanité et pour reprendre la citation d’Henri Bergson (Discours du Congrès Descartes 1937) « agir en homme de pensée et penser en homme d’action », l’objectif n’étant pas de réaliser un geste techniquement parfait mais un geste parfaitement adapté à un patient unique. L’objectif n’étant pas non plus de réaliser un geste complaisant qui efface les angoisses du patient mais plutôt d’essayer de connaître et de démonter ces angoisses. Le premier des messages à transmettre à l’élève est donc d’entretenir ce continuel va et vient, ce changement de focalisation de la pensée entre le contrôle des émotions et celui de la main qui opère. Le but en est simple mais l’enseignement complexe : il faut adapter le geste à la pathologie et réévaluer cet ensemble à la mesure de l’individualité du patient.

Le premier et le plus important des messages à délivrer au jeune chirurgien, quelle que soit sa spécialisation, est donc celui de la synchronisation du geste et de la pensée chirurgicale. Le chirurgien en formation doit être persuadé que même la plus banale des interventions, rapportée à l’unicité de chaque patient et de chaque situation interdit la monotonie, qu’il n’y a pas de petite intervention.

La main, le geste, le corps

Le mot « Chirurgie » vient du grec χ ε ι ρ ο υ ρ γ ι ́ α (kheirourgia) qui signifie « activité manuelle, travail, industrie ». Étymologiquement parlant, la main et le geste sont au centre du soin chirurgical mais le métier de chirurgien ne se résume pas aux actes chirurgicaux et de plus en plus souvent, la main reste à distance du patient et n’intervient que par l’usage d’instruments. Ces lignes sont destinées au jeune chirurgien mais si un patient s’y aventure, il n’est pas question ici de démystifier la magie du geste opératoire à ses yeux, ni de chercher à l’inquiéter par une complexité qu’il n’imagine même pas. Il me semble au contraire important qu’il devienne « patient et conscient », conscient de l’intensité du processus qui se déroule à son insu mais avec son accord, conscient de l’engagement du chirurgien et de ce qu’il a dû apprendre à maîtriser.

la main et le geste sont au centre du soin chirurgical

Le contact direct de la main avec le patient, avec la surface de sa peau ou avec ses viscères profonds reste un point essentiel dans l’éducation chirurgicale. Ces premiers contacts profondément intimes avec l’opéré constituent une étape capitale à franchir pour le jeune chirurgien, étape aussi importante que la première palpation d’un patient pour un étudiant en médecine débutant ou que son premier contact avec un corps cadavérique nu et froid. Aucun simulateur virtuel ne peut remplacer cela. Aucun ne peut préparer à cette émotion. Un étudiant se souvient longtemps, voire définitivement, de la première fois où il a glissé sa main gantée dans la cavité abdominale, thoracique ou la plaie profonde d’un patient. Le professeur doit garder à l’esprit l’intensité de ce que peut ressentir le novice à cet instant et au besoin accompagner l’élève pour le rassurer, pour lui donner à palper des repères connus, repères osseux, battements artériels, corde tendue d’un tendon ou d’un nerf. Il faut que les mains du maître, celles de l’élève et les tissus vivants du patient soient à un moment donné véritablement en contact les uns avec les autres. Même ces premiers instants de révélation passés, la main de l’enseignant guide encore le jeune chirurgien. Elle désigne, fait palper un élément déterminant, fait apprécier une texture, une chaleur, une fragilité ou au contraire une rigidité. Elle donne des repères.

Puis vient le maniement des instruments, des plus rudimentaires aux plus sophistiqués, des plus rustiques aux plus fragiles et là encore la main donne l’exemple, elle tient l’outil correctement pour optimiser et sécuriser le geste. Le moindre instrument, même le plus simple doit être expliqué. Rien ne semble plus rustique qu’un bistouri et pourtant par la forme de sa lame et la façon de le tenir il peut bien sûr couper mais aussi servir à piquer, gratter, décoller ou racler. Comment placer l’instrument dans la main ? Quelle force appliquer sur les branches d’une pince ? Comment l’instrument entre-t-il en contact avec les tissus, avec quel angle d’attaque ? Où sont les pièges et les risques ? Deux pinces munies de griffes peuvent se ressembler et être pourtant destinées à des taches différentes, l’une à saisir des vaisseaux fragiles sans les blesser, l’autre à maintenir fermement un muscle et son enveloppe sans les laisser échapper. Inverser les deux pinces conduit à blesser la paroi d’une artère au risque de la déchirer d’une part et d’autre part, à tenter en vain de tenir un muscle que la pince trop souple ou pas assez acérée laissera s’échapper.

mélange de mains au dessus du champ opératoire

Si j’insiste autant sur le rôle de la main, c’est que je souhaite tracer clairement les limites de l’enseignement virtuel, sur mannequin ou sur robot asservi. Je lutte pour préserver ces moments éducatifs en face à face au-dessus du champ opératoire. La main est rassurante par sa simple présence. Beaucoup des progrès de l’élève ne se font que grâce à ce mélange de mains au-dessus du champ opératoire et dans ses profondeurs, comme un langage des signes, un échange d’informations non-dites. Certains gestes, certains abords semblent audacieux, improbables, difficiles, voire irréalisables lorsqu’on les découvre à la lecture d’un article ou au cours d’un enseignement théorique. C’est souvent le cas en chirurgie mini-invasive. Combien de chirurgiens confirmés ont un jour pensé : « cette opération que je fais souvent par une incision de dix centimètres de long, comment pourrais-je la faire, comme ils l’affirment, par une incision de deux centimètres ? ». Ce n’est pas en lisant des témoignages qu’ils seront convaincus mais bel et bien en venant sur place, voir faire le geste ou encore mieux aider à faire le geste puis essayer de le faire. La mise en application en présentiel est là pour prouver le contraire et abattre des réticences, et c’est en fait le partage d’un vrai temps opératoire qui va rassurer l’étudiant bien mieux qu’une multitude de simulations. Les simulations sont utiles, il n’est pas question de les dénigrer, mais c’est surtout le va-et-vient entre la théorie et la pratique, et lui seul, qui fait progresser. Il ne s’agit pas de regarder faire l’enseignant, ni d’être lâché très tôt sur un geste technique même supervisé. Il ne s’agit pas non plus de passer des années à observer un maître puis les années suivantes à reproduire ce qu’on lui a vu faire. L’idéal est de lire et d’observer pendant un temps, puis rapidement d’être placé dans l’action avec les instruments entre les doigts, d’être corrigé en direct puis de nouveau de redevenir observateur afin de découvrir ce qu’une première vision n’avait pas révélé et d’ancrer ses découvertes dans son esprit. Cela se résume par une séquence qui peut d’ailleurs se répéter au besoin : il faut ainsi « voir faire le geste » puis « faire le geste » et ensuite « retourner voir faire le geste ». Dans ce va-et-vient, cet échange de rôles, l’enseignant lui-même progresse. A observer le geste de l’élève, les difficultés qu’il rencontre, il reconsidère son propre geste, il en comprend sa force, le perfectionne encore et comprend comment mieux l’enseigner. Ainsi, la main, utilisée et observée, est un formidable outil d’enseignement.

L’apprentissage porte sur l’usage de la main et le débutant se focalise sur le geste mais plus que la main, c’est l’ensemble du corps du chirurgien, tout son être et son comportement en salle d’opération qui entrent en jeu. Le geste qui opère n’est rien sans le geste qui expose le site opératoire. Le chirurgien doit apprendre à se placer, à s’éclairer, à se tenir, à travailler avec une économie et une ergonomie gestuelle pour réaliser le geste le plus simple, le plus dépouillé et le plus juste. La main doit bien sûr être adroite pour agir mais cette adresse n’est rien si la cible à atteindre n’est pas clairement exposée. L’exposition est sans doute aussi importante que le geste qui est de plus en plus « augmenté » par des outils merveilleux voire une assistance informatique. Cette assistance peut être la simple adaptation ergonomique d’un outil ou le guidage sophistiqué, calculé en temps réel, par un ordinateur. L’exposition peut être facile et évidente si la cible à opérer est en surface avec des contours précis. L’exposition peut être difficile si la cible siège dans une région profonde, dangereuse avec dans son voisinage des structures anatomiques nobles et fragiles. Dans ces cas-là, l’exposition repose sur la maîtrise du contexte, de l’environnement et non pas sur la maîtrise de la cible. Il faut écarter, retenir des viscères avec l’aide des mains ou des instruments sans encombrer le champ opératoire ni traumatiser le voisinage. La cible est variable mais le contexte est infiniment plus variable encore car le contexte est vivant, mobile. Ainsi l’exposition peut être figée ou au contraire changeante tout au long de l’opération. Il faut souvent quitter la cible des yeux et ré évaluer l’efficacité des écarteurs, les replacer plusieurs fois au cours d’une opération sans oublier le corps du patient dans son ensemble, tout autour et les contraintes qu’on lui inflige.

Enfin, la main, le geste, le corps entier de l’opérateur s’inscrivent dans un volume restreint, celui de la salle d’opération avec ses contraintes d’espace autour de la table, avec ses différents secteurs d’asepsie, ses risques chimiques, biologiques ou électriques. Le jeune chirurgien aura beau recevoir des cours théoriques sur l’utilisation des instruments électriques, sur le matériel de suture, d’hémostase, sur les règles d’asepsie, il ne pourra jamais faire la synthèse de ce qu’il aura sagement appris sans l’avoir vécu et intégré petit à petit, du plus simple au plus complexe, du plus étroit au plus large, du centre du champ opératoire au corps du patient dans son ensemble et du corps du patient à la salle d’opération. Voici tracé le plan des articles qui vont suivre et les objectifs pédagogiques principaux qu’il faudra atteindre.

Le patient est-il pris au piège d’une communication positive?

Le patient est-il précipité dans une réalité déformée?

Les progrès technologiques chirurgicaux seraient de peu d’utilité pour le patient sans une communication chirurgien – patient appropriée, sans une équipe médicale et paramédicale habituée. Le confort tient dans une communication soignant – soigné réussie, réussie par son ambiance, ses commentaires, ses explications. Ce confort rassure le patient avant sa confrontation à un outillage sophistiqué et un opérateur entraîné. La bonne gestion des mots employés pour parler de l’opération et de l’après-opération est aussi déterminante que la bonne gestion des antalgiques et des anxiolytiques. A l’extrême, une opération agressive et délabrante peut être ressentie comme peu invasive par le patient si la communication faite autour d’elle l’a préparée et adoucie. Pour le chirurgien, il ne s’agit pas de mentir, de minimiser, de tricher. Il s’agit de parler avec des mots vrais mais choisis, des mots qui blessent moins, des mots plus proches du registre quotidien du patient, des mots plus positifs. Pour l’équipe aussi le choix des mots est important, la façon de les prononcer, le moment où les prononcer… rien ne doit être laissé au hasard. Cette démarche de soin, qui va bien au-delà de la communication verbale, est aujourd’hui résumée par le sigle RAAC pour « récupération améliorée après chirurgie » (Enhanced Recovery After Surgery ou ERAS en langue anglaise).

La communication n’est pas que langage verbal. L’ambiance, le cadre permettent au langage gestuel de porter les mots et cela commence en consultation préopératoire, se continue dans les échanges préparatoires, dans l’accueil le jour ou la veille de l’intervention puis au bloc opératoire et dans les suites. Permettre à un patient de se mettre debout le soir même d’une intervention dépend de l’opération effectuée et de la conviction des mots du chirurgien. Mais ce premier lever précoce serait impossible si l’équipe dans son ensemble n’était pas convaincue que ce fût possible. Si les soignants autour de lui remplacent les mots « douleur » et « souffrance » par ceux de « contracture », de « courbature », « d’inconfort », ses forces physiques et morales seront décuplées. Si, de plus, ces « courbatures » sont prévues parce qu’annoncées lors d’une consultation préopératoire, si leur intensité et leur durée sont clairement énoncées comme dans un contrat moral, elles seront encore plus faciles à maîtriser. Le patient sait qu’il doit se lever et sortir du lit le jour même de l’opération.

La positivité du comportement et des phrases de toute l’équipe devient une seconde nature, elle ne doit pas être forcée. Elle s’éduque et s’entretient mais ne repose finalement que sur la confiance mutuelle entre soignants. Plus l’intervention est risquée, plus l’état d’esprit du patient est troublé, moins il y a de place pour de l’incertitude et le moindre élément négatif supplémentaire peut effondrer les défenses du patient. Tous ces efforts sont moins déterminants pour un projet chirurgical plus bénin mais ils sont loin d’être inutiles. Cette démarche de soins met en jeu une énorme quantité de soignants et de matériel et si on ne craignait pas de blesser les hommes et les femmes qui y participent, on pourrait parler de « machinerie ». C’est à partir de là que le patient peut se sentir piégé car il est facile de passer de « machinerie » à « machination ».

Le chirurgien mini invasif materne t-il le patient?

Si certains patients font preuve d’enthousiasme et de reconnaissance devant ces techniques et cette communication nouvelles, d’autres restent méfiants. Ils considèrent le travail d’équipe organisé autour d’eux comme une machination créée pour les piéger, une sorte d’ambiance virtuelle, artificielle, destinée à adoucir leurs réactions en affaiblissant leurs réflexes vitaux. A l’approche d’une opération, certains patients recherchent la protection d’un cocon, d’autres s’y sentent infantilisés. Les sceptiques craignent d’être joués par un optimisme mensonger, de perdre leur vigilance et la maîtrise de leur traitement. La cause en est, là encore, une publicité maladroite, aguicheuse. La « récupération améliorée après chirurgie » peut être un argument publicitaire, un slogan pour un établissement, une équipe. Elle peut manquer de sincérité, être bâtie sur des moyens matériels, sur du confort hôtelier sans véritable engagement humain des soignants. Elle peut être le projet spontané de toute une équipe soignante ou au contraire un objectif imposé par l’autorité de Santé ou l’établissement de soins à une équipe soignante non informée ou non motivée.

Le patient méfiant doit se rassurer que le chirurgien ne triche pas, qu’il est lui-même, qu’il adapte simplement son comportement et son langage au patient et à sa pathologie, dans la salle de consultation ou au chevet du lit d’hôpital. Le chirurgien, comme tout médecin, ne change pas de personnage à chaque patient. Sa manière d’être sert à contourner les barrières volontaires et involontaires qui le sépare du patient pour toucher enfin l’homme qui se cache derrière. Le patient ne doit pas se sentir conditionné contre son gré mais cela ne se peut que si le chirurgien est sincère. Cette sincérité doit transpirer, même de façon maladroite s’il le faut, même si certaines situations en arrivent à ressembler à une médecine trop paternaliste.

Une fois la porte ouverte, les barrières tombées, il y a deux hommes honnêtes face à face et dans ces moments-là, émerge une médecine à décision partagée.

Psychologie et technologie

Le mini invasif ne se résume pas à un outillage et à des techniques dédiés. Les progrès technologiques bouleversent les méthodes chirurgicales et rendent possibles des gestes inimaginables il y a encore vingt ou trente ans mais la communication patient – chirurgien fait, elle aussi, l’objet de bouleversements. Le discours chirurgien – patient a évolué tout autant. Son évolution s’est faite plus ou moins consciemment. Elle a été poussée par les innovations procédurales et la publicité qui a été faite autour d’elles mais elle a aussi avancé de son propre fait et même en réaction à ces innovations procédurales. Le risque majeur de ce tourbillon de modernité est que le patient soit oublié même si toutes ces innovations ont soit-disant été lancées pour lui. Le risque d’un patient perdu sous une masse de procédures et de technologies qui elles auront été maîtrisées avec succès.

Une intervention peut se prétendre mini-invasive, elle peut utiliser le matériel le plus sophistiqué qui soit, atteindre parfaitement son but avec un résultat esthétique parfait mais pourtant laisser au patient un souvenir amer et pénible si la communication entre le chirurgien et lui ne l’a pas préparé à ce qu’il allait éprouver. Pour le patient, le geste subi reste invasif car il ne l’imaginait pas ainsi, car il avait construit un projet d’opération et de suites opératoires différent de ce qu’il a dû vivre.

Le patient disparaît derrière la technique

Si l’on prend l’exemple d’une laparoscopie réalisée pour un geste abdominal simple, le patient se la représente comme un « bricolage » interne, invisible, avec trois ou quatre minuscules cicatrices sur l’abdomen et l’envisage donc comme une aventure chirurgicale banale dénuée de douleurs. Or, une laparoscopie nécessite une insufflation de gaz carbonique dans le péritoine pendant l’opération et les quelques centimètres cubes de gaz qui restent piégés à la fin peuvent engendrer des douleurs ou une gêne le temps de leur résorption. Un patient peut les ressentir pendant quelques heures à quelques jours dans le ventre, les lombes ou les épaules. Il faut donc prévenir le patient de ce qu’il risque d’endurer mais sans augmenter son appréhension et avec honnêteté sinon il se sentira trompé. Il faut ainsi parler « d’inconfort », de « courbatures » et non pas de « douleurs » afin justement qu’il puisse régler à l’avance son échelle d’évaluation. Il faut le rassurer en promettant des antalgiques en cas de besoin. Il faut décrire les sensations qu’il pourra ressentir tout en évitant les mots négatifs qui ramènent au mal. Il faut surtout expliquer que ces courbatures ou contractures ne cesseront qu’au prix d’une reprise rapide des activités physiques et que celles-ci doivent commencer tôt dès le réveil. Le patient est non seulement informé mais il se voit en plus chargé d’une responsabilité dans la gestion de l’invasivité chirurgicale. Si une telle information vient au secours d’une technique brillante, alors, dans ce cas-là seulement, la chirurgie sera mini-invasive.

Inversement, un geste agressif peut devenir mini invasif aux yeux du patient si le geste est prévu et expliqué. Par exemple, en cas de chirurgie abdominale lourde, il peut être important de laisser en place dans l’estomac une sonde d’aspiration qui ressort par une narine et qui relie le patient à un bocal mural. Cette sonde est installée alors que le patient est encore sous anesthésie mais, une fois en place, elle est désagréable et irritante pour le nez comme pour le pharynx. Il faut pourtant la maintenir en place plusieurs jours. Elle permet d’éviter l’accumulation de liquide ou de gaz dans l’estomac qui pourrait compromettre la cicatrisation d’une suture digestive ou qui pourrait plus simplement créer une distension abdominale pénible et une gêne respiratoire supplémentaire. Lors d’une consultation préopératoire, si le patient est informé de la nature de cette sonde, de ce qu’il ressentira à son réveil et surtout du rôle de cette sonde, il l’acceptera et la tolèrera mieux. Il doit savoir que cette sonde est installée en prévention de complications et qu’on la lui impose afin d’éviter que les soignants ne soient contraints de la mettre en place secondairement en cas de besoin, ce qui serait encore plus pénible. Quelques temps plus tard, le patient peut même ne garder que peu de souvenirs du sondage. Inversement, s’il le découvre à son réveil ou pire s’il faut le lui faire subir sans anesthésie, le patient ainsi piégé une première fois ne se laissera plus surprendre et vivra dans l’angoisse que d’autres surprises désagréables ne surviennent. L’effet de surprise diminue peut-être l’anxiété mais le fait de ne pas avoir été prévenu altère la confiance donnée aux soignants.

Un geste mini invasif doit logiquement aboutir à un raccourcissement de la durée de séjour voire à une intervention en ambulatoire. Diminuer le temps passé dans un milieu de soins doit être vécu comme une victoire par le patient qui sera plus vite chez lui et donc moralement plus proche d’une guérison, mais cette sortie précoce se prépare elle-aussi avec des explications, des mises en garde pour éviter que le patient ne se sente renvoyé trop tôt et qu’il ne revienne en urgence en nécessitant une réhospitalisation. Le patient doit être convaincu de pouvoir sortir sans crainte de douleurs, de rechute, de complications. La communication doit être maintenue jusqu’au bout ou tout au moins des moyens de communications doivent être prévus et donnés au patient en cas de problème. La perception du mini invasif est bien du domaine de la relativité.

Ce qui peut sembler être un geste mini invasif réussi pour le chirurgien peut être vécu comme agressif par le patient. C’est bien lui qui règle l’échelle de valeur, en sachant que cette échelle pour un patient donné n’est pas figée, qu’elle peut être construite avec le chirurgien et qu’elle va encore évoluer au cours des aventures ou mésaventures chirurgicales. Un des buts de la relation chirurgien – patient est justement d’établir cette échelle, d’en déterminer la norme. C’est « tarer » la balance qui va servir à peser l’agressivité opératoire. Cette préparation de l’opération est déterminante même si beaucoup d’autres facteurs entrent en compte : la volonté du patient par exemple, la démarche préparatoire qu’il a pu faire avant de consulter, l’enjeu de l’opération, la gravité du contexte… 

Le tempérament chirurgical et le mini invasif

Le tempérament chirurgical a-t-il changé ?

Il n’y a pas de « tempérament chirurgical mini-invasif ». Un chirurgien ne limite pas son activité à des opérations mini invasives. Il n’est jamais formé exclusivement à cet exercice et il doit plus ou moins souvent se résoudre à intervenir de façon dite « conventionnelle ». Il n’y a donc pas face à face, des chirurgiens mini invasifs opposés aux chirurgiens conventionnels mais il y a bien un seul et même tempérament chirurgical moderne. Comment ce tempérament chirurgical permet-il de s’adapter et de passer d’un geste classique à un geste mini invasif qui semble si différent ? L’âge du chirurgien intervient-il ? Sans doute peu : un jeune chirurgien est certes formé d’emblée aux techniques les plus modernes, il en connaît peut-être mieux le matériel et les variétés que le sénior, l’ergonomie des outils lui semble peut-être plus familière. Un chirurgien sénior apprend tout cela, pour sa part, en formation continue, tout au long de sa pratique régulière. Il ne sera peut-être pas complètement immergé dans un monde exclusivement mini-invasif mais il aura plus d’aisance à rejoindre des techniques classiques en cas de difficultés. Et quoiqu’il en soit, ces différences s’estompent vite et il y aura toujours des innovations technologiques et des remises en question. Elles apparaissent évidentes, naturelles, tentantes pour le jeune chirurgien et plus ou moins bouleversantes pour le chirurgien sénior. Face à ces bouleversements, le sénior doit parfois oublier ou même renier certains des dogmes qu’il a appris et qui ont guidé sa pratique jusqu’alors mais il détient en revanche une sorte de double culture chirurgicale qui lui permet une prise de recul plus aisée et qui peut être utile en cas de conversion non programmée. C’est ce recul aussi qui lui permet d’alerter la communauté chirurgicale lorsqu’une innovation technique n’est pas aussi fiable et bénéfique qu’elle le paraît. C’est lui, le premier, qui incitera à la prudence.

Quels sont ces dogmes remis en question?

Le premier dogme à avoir été ébranlé est celui du contrôle visuel des risques. La région à opérer contient des éléments nobles à respecter. L’organe à opérer côtoie des rapports dangereux or, une des leçons essentielles que le chirurgien a retenu de sa formation est justement que ces risques doivent être reconnus et exposés et qu’ils doivent rester visibles tout au long du geste chirurgical. C’est, en tous les cas, ce sur quoi nos maîtres insistaient mais c’est aussi un besoin naturel, viscéral, que de vouloir voir le danger en face. En chirurgie mini-invasive, au contraire ces rapports, ces éléments fragiles ne sont pas accessibles en permanence et parfois même, dans certains cas, ils ne sont jamais repérables. Il faut deviner leur présence et leur position grâce à l’expérience et grâce à une parfaite maîtrise de l’anatomie tridimensionnelle : savoir où ils sont sans jamais les voir. Cette idée de reconnaissance des dangers per-opératoires se résume dans les termes « savoir s’exposer ». « S’exposer », c’est organiser le champ opératoire de façon stable, en ayant sous les yeux la cible à atteindre et les obstacles à éviter. Voilà une des grandes difficultés que rencontre le chirurgien au cours de son apprentissage mais, si elle est maitrisée, cette exposition est aussi une garantie de sécurité. Le chirurgien mini-invasif doit souvent renoncer à ce luxe qui rassure ou tout au moins accepter que le champ opératoire évolue au fur et à mesure du geste pour ne donner à un instant précis qu’une vue partielle du danger, une vue sans arrêt remise en question. La difficulté est telle que la technique actuelle propose, dans certains cas, une assistance numérique pour fournir une image virtuelle de ce qui n’est pas visible.

Le second dogme est celui du confort pour « bien opérer ». L’installation des patients sur la table d’opération a longtemps été plus guidée par le confort du chirurgien que celui du patient. Il est préférable que le chirurgien soit à l’aise pour voir mais aussi pour utiliser ses mains, palper, apprécier les structures, leur position, leur solidité, utiliser les mains pour séparer, disséquer avec douceur dans des endroits difficiles d’accès. L’étroitesse d’un abord chirurgical éloigne l’opérateur de sa cible et impose souvent l’utilisation d’instruments longs comme autant d’intermédiaires entre les mains et les tissus : la main ne rentre plus ou presque plus dans le champ opératoire faute de place. Après la perte du contact manuel, le chirurgien ressent aussi une frustration à ne pouvoir éclairer directement la scène chirurgicale et il faut alors palier à cela par des artifices de lumière artificielle et de caméra intra-opératoire. La chirurgie mini invasive semble donc contenir une idée de complexité, d’effort supplémentaire à fournir, de surinvestissement par rapport à un geste conventionnel mais n’est-ce pas le lot de tout bouleversement technique et le problème de toute remise en question pour, finalement, vite oublier l’inconfort initial.

Les bénéfices des bouleversements du tempérament chirurgical

Malgré la richesse de son apprentissage, certaines idées viennent empêtrer le chirurgien sénior. Certains dogmes ont conduit à des rituels qui, pour certains, ont perdu avec le temps tout fondement scientifique. Par exemple, pendant très longtemps en fin d’intervention, le chirurgien a éprouvé le besoin de laisser dans la zone opérée un système de drainage pour éviter le stockage d’hématome dans les tissus, pour éviter l’installation d’un abcès. L’idée chirurgicale cachée derrière ce réflexe conditionné remonte à plusieurs siècles. Elle repose sur le fait qu’un espace-mort laissé en place doit toujours rester ouvert sur l’extérieur pour évacuer spontanément son éventuel contenu et cicatriser de la profondeur vers la surface. Ce principe de précaution garde son intérêt dans certains cas mais de nos jours, son caractère systématique ne repose sur aucune preuve tangible or un drain crée des douleurs et constitue une porte d’entrée à l’infection autant qu’une porte de sortie. Laisser un drain rassure le chirurgien mais ne pas en laisser soulage le patient. La phrase magique que prononçaient nos maîtres était : « si tu hésites à mettre en place un drain, mets-en un ». Beaucoup d’idées préconçues comme celle-ci ont été balayées par l’arrivée du mini invasif… mais certains chirurgiens ont du mal à les abandonner. Il en est ainsi de la diète stricte qui était infligée aux opérés avant une anesthésie ou des pénibles préparations coliques avec purges et lavements avant une chirurgie digestive. Beaucoup de telles mesures ont été imposées par l’habitude et le temps. Elles ont eu un sens dans des contextes différents et aujourd’hui elles ajoutent plus d’inconfort qu’elles n’apportent de sécurité. A l’extrême, elles peuvent angoisser, épuiser ou fragiliser le patient juste avant son opération.

Le tempérament chirurgical a indiscutablement été bouleversé par l’arrivée du mini-invasif

Après des années de prudence et même d’opposition tout à fait licites au cours desquelles les chirurgiens imaginaient contrainte, prise de risque et inconfort, les progrès de l’outillage, de l’anesthésie, de l’infectiologie ont fini par convaincre. Beaucoup de ce qu’ils croyaient perdre est compensé par d’autres avantages. Ils opèrent au fond d’un espace réduit mais avec de remarquables outils d’éclairage et de grossissement. Ils sont aidés d’un retour d’images sur des moniteurs qui leur permettent de voir – même mieux qu’avant – certains détails, tout au moins de découvrir un champ opératoire nouveau (ou de redécouvrir des structures anatomiques qu’ils n’utilisaient plus pour se repérer). Ils opèrent peut-être en cœlioscopie, en arthroscopie, sans vision directe, sans palpation directe mais avec des images plus grandes, plus belles, des angles de vue qui augmentent encore la sécurité du geste. Ils opèrent sans dilacérer les tissus avec une dissection qui glisse entre les plans fibreux naturels ou qui les utilise. Les risques d’hématome et d’infection sont moindres. Ces retours d’images en temps réel sont accessibles au reste de l’équipe. Le chirurgien n’est plus seul à voir l’espace de travail profond et étroit. Ceux qui l’entourent sont plus aptes à anticiper ses réactions et à l’aider.

L’origine du concept mini-invasif

Dans un livre écrit au cours des années cinquante, intitulé « journal intime d’un chirurgien », Jean Fiolle fait un état des lieux de la chirurgie qu’il avait apprise, exercée puis enseignée au cours de la première moitié du vingtième siècle. Il résume ainsi les bouleversements vécus : « la chirurgie en 1940. Les enseignements de la précédente guerre avaient, à cette époque, fixé une notion capitale : nous savions que l’opérateur devait s’efforcer de brutaliser le moins possible les tissus, qu’il devait renoncer aux arrachements, aux violences inconsidérées, à tous les gestes que nos prédécesseurs, soucieux de rapidité et de « brio », tenaient pour des signes d’un « beau tempérament chirurgical ».

A l’époque, on continuait encore à entraîner les chirurgiens en privilégiant leur rapidité car l’anesthésie d’alors ne pardonnait aucune perte de temps. Les travaux pratiques étaient regroupés dans une discipline appelée « médecine opératoire », exercice de vitesse et de précision pour aborder une région, un vaisseau ou réaliser une amputation. Pour l’élève, le « jeu » consistait à chronométrer le temps qu’il mettrait à placer une ligature sur une artère fémorale par exemple. Parfois même on traçait au sol l’emplacement de ses pieds pour limiter le plus possible les déplacements inutiles, pour « purifier » le geste et n’en garder que l’essentiel.

Plus près de nous, en 2003, Yves Chapuis parlait lui aussi du tempérament chirurgical dans une conférence donnée à l’occasion d’une séance de l’académie nationale de chirurgie : « …les effets nocifs des dilacérations favorisant la mort des éléments anatomiques et leur envahissement par les germes, effets nocifs de la cautérisation des plaies au lieu des ligatures vasculaires sélectives. La leçon avait été retenue. Les officiants, assagis, procédaient avec douceur, consacraient beaucoup de temps à la ligature des petits vaisseaux, à la reconstitution des plans – en somme au « fini » de leur travail… suites plus simples, diminution notable du choc opératoire, meilleure cicatrisation… l’ère de la chirurgie « héroïque » est révolue ».

On découvre enfin un souci de précision, l’envie de quitter une époque barbare, de soigner le site opératoire avec un mélange d’esthétique et d’hygiène mais, dans ces lignes, le patient lui-même n’apparaît toujours pas : seule la partie de son corps exposée au chirurgien est considérée. On comprend indirectement que ces mesures techniques se proposent de diminuer les risques d’infection, de séquelles et de douleurs. Le concept physiopathologique est juste, la démarche est saine mais aucune humanité ou psychologie n’apparaît. Pourtant les chirurgiens n’ont jamais été des barbares sadiques, ni des indifférents dénués d’empathie. Ils ont lutté contre ce qui leur apparaissait être une fatalité, conscients de l’agressivité et des douleurs infligées tout en admettant que la priorité restait le résultat final, c’est-à-dire la victoire contre la maladie. Ils ont malgré tout, une part de responsabilité, celle de n’avoir pas remis en question des dogmes reçus de leurs maîtres jusqu’à ce que le courant « mini-invasif » enfin, par contagion, vienne toucher toute la chirurgie et tous les chirurgiens et suscite des prises de conscience.

Prenons par exemple le cas des incisions utilisées pour enlever la glande thyroïde. Depuis la fin du dix-neuvième siècle, cette incision a été réalisée au même niveau sur le cou. Elle a été tracée très longue et très proche du sternum et ceci pour réitérer la voie d’abord décrite par Emil Theodor Kocher, sans remise en question car elle avait fait ses preuves. Or il se trouve que cette incision trop basse n’est pas adaptée à toutes les conformations anatomiques et qu’elle demande en plus à être élargie pour pouvoir atteindre le haut de la glande thyroïde. Il a fallu attendre une centaine d’années pour voir cette incision tracée un peu plus haut et adaptée à chaque patient. Le résultat est que la longueur de l’incision a pu être réduite de moitié, si ce n’est plus. La peau a été enfin incisée dans une zone plus propice à la cicatrisation, moins sensible, moins tendue. A quelques centimètres près, l’agressivité changeait du tout au tout.

Autre exemple, celui des thoracotomies, c’est-à-dire des ouvertures du thorax, entre les côtes, en vue d’une chirurgie du poumon, de l’œsophage ou du cœur. Ces opérations étaient réputées pour être douloureuses au point qu’il ne semblait pas utile d’essayer de réduire l’agressivité de son ouverture puisque immanquablement le patient était condamné à souffrir. Cette fatalité a même découragé les chirurgiens d’essayer de réfléchir sur ces voies d’abord pour se concentrer surtout sur les gestes à effectuer à l’intérieur de la cage thoracique. Il a fallu, là encore presque soixante-dix ans pour que certains d’entre eux réalisent cette voie d’abord sans couper les muscles de la paroi, en les respectant, en les écartant pour, enfin, commencer à diminuer les douleurs post-opératoires.

Pendant des siècles, l’acte chirurgical était tellement entaché d’agressivité qu’il n’était même pas question de s’attarder sur son invasivité, cela allait de soi comme l’idée qu’une opération devait faire mal, que la chirurgie n’existait pas sans douleur, sans cicatrice, sans séquelles et que seule importait la vie, la survie. L’analgésie puis l’anesthésie sont venues et ces innovations n’ont pas uniquement joué en faveur du confort du patient. Grâce à elles, des actes chirurgicaux ont pu être imaginés et réalisés alors qu’ils étaient jusque-là impensables car insurmontables pour le patient. La généralisation de l’anesthésie a eu, initialement, un effet paradoxal. Il n’était pas plus question d’invasivité qu’avant et certains gestes chirurgicaux ont même gagné en agressivité : le chirurgien pouvait enfin faire subir au patient des opérations plus complètes et plus profondes. Il fallait encore et toujours combattre le mal et essayer de l’extraire à tout prix. Des spécialités chirurgicales entières ont vu le jour. Avant cette ère, il était, par exemple impossible d’imaginer ouvrir la cage thoracique sans compromettre la vie du patient. Les gestes se limitaient à des évacuations d’abcès avec au premier plan ceux des infections tuberculeuses. La chirurgie thoracique avec ses résections pulmonaires ne date que des années trente. La chirurgie œsophagienne est un exercice chirurgical complexe, sophistiqué, qui n’a eu pendant longtemps qu’un bilan médiocre à moyen terme, parfois aussi minable que celui d’une triste abstention.

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, après l’ouverture de cette voie vers la chirurgie « lourde », il est devenu possible de réfléchir aux moyens d’affiner la cible chirurgicale et d’économiser le plus possible l’organe opéré, c’est-à-dire de réaliser une ablation de la zone pathologique en respectant le plus possible de tissu sain viable. C’était déjà un effort vers une réduction de l’invasion chirurgicale mais il n’était pas encore question, à proprement parlé, de chirurgie mini invasive. Ainsi naquit la chirurgie des résections segmentaires ou résections mineures du foie, des seins, de la rate, des poumons, des reins…  Il a fallu montrer ensuite que ces résections limitées, économiques offraient les mêmes résultats en termes de guérison que les gestes complets. L’ère du « tout ou rien » était révolue, des interventions sélectives pouvaient apporter des résultats aussi bons ou meilleurs. L’ablation complète d’un sein, élargie parfois à la paroi du thorax, n’était plus le traitement obligatoire du cancer et il était possible d’imaginer un résultat équivalent avec une seule tumorectomie : épargner un sein pour n’ôter que la zone tumorale. Longtemps la chirurgie a été estimée sur son bénéfice immédiat ou à moyen terme tant le long terme n’était pas envisageable. La tumeur était enlevée, c’était déjà ça. Le patient était sorti de salle d’opération, c’était déjà ça. Le greffon fonctionnait, c’était déjà ça. Il fallait ensuite espérer que cet état durerait le plus longtemps possible.

Ce n’est que dans les vingt dernières années du vingtième siècle que les termes de « chirurgie mini invasive » ou « minimally invasive surgery» ont été utilisés par les médecins et surtout, ont été prononcés par les patients. Certains chirurgiens après avoir maîtrisé les interventions les plus lourdes par voie conventionnelle ont réfléchi à des voies d’abord plus respectueuses de l’intégrité du patient. Le relâchement musculaire contrôlé par l’anesthésiste le permettait. Il ne s’agissait pas d’un retour vers la simplicité, bien au contraire, puisque, pour le chirurgien, ces soi-disant progrès passaient par des efforts physiques importants, des prouesses gestuelles, une diminution des espaces de travail et une augmentation du temps opératoire. La plupart du temps ces interventions étaient réalisées avec des instruments détournés de leur but habituel et ce n’est que progressivement que le génie biomédical a créé une instrumentation spécifique qui n’a cessé de se développer et de se complexifier. Des progrès ont été faits dans le domaine de la longueur et de la finesse des instruments, parallèlement l’étroitesse du champ opératoire et son approfondissement ont poussé à développer l’éclairage dans le site opératoire et à utiliser des moyens de magnification comme des loupes ou une caméra vidéo. Il devenait possible de voir aussi bien et même mieux par une ouverture plus étroite qu’avant. Avant la première ablation de la vésicule biliaire par cœlioscopie en 1988, la cœlioscopie n’était utilisée que pour des interventions sur les trompes utérines ou les ovaires ou quelques explorations simples du foie. Ainsi, les premières ablations de la vésicule biliaire par cœlioscopie ont été réalisées avec une instrumentation qui n’était utilisée jusqu’à lors que par les gynécologues et qui fût donc astucieusement détournée vers la chirurgie générale.

Mais le mini-invasif n’est pas synonyme de cœlioscopie même si c’est le développement de la cœlioscopie qui a le plus marqué le public en laissant dans l’ombre les efforts de beaucoup d’autres chirurgiens qui, dans leurs domaines, travaillaient aussi sur des progrès mini-invasifs. Ces travaux étaient pour certains bien plus anciens que la première cœlioscopie : réduire la longueur des incisions, franchir les tissus en les écartant plutôt qu’en les sectionnant, choisir des incisions plus sélectives, adaptées à la cible à atteindre. Beaucoup de chirurgiens ont ainsi fait du mini-invasif sans le savoir et sans le proclamer. Puis le mini-invasif est devenu la somme de toutes les minimisations, d’abord cicatrice plus courte, cicatrice plus cachée, temps opératoire plus court, anesthésie plus légère ou anesthésie locorégionale ou locale, douleurs post-opératoires atténuées, risque infectieux et risque hémorragique plus faibles. Les chirurgiens sont devenus mini invasifs et ce mode d’exercice a gagné l’ensemble du monde médical bien au-delà du monde chirurgical. Rapidement, certains médecins spécialistes non chirurgiens sont devenus des médecins interventionnels, c’est-à-dire qu’à leur tour, ils ont vu leur outillage se miniaturiser et permettre des interventions en passant par des conduits naturels (tube digestif, voies respiratoires, vaisseaux sanguins) ou par des orifices percutanés. Ces médecins pratiquaient des gestes plus ou moins invasifs dans un but de diagnostic : explorer l’intérieur d’une cavité ou d’un vaisseau du patient pour voir, parfois réaliser un prélèvement. Les progrès de la chirurgie mini invasive avec son outillage, sa technicité, sa miniaturisation offraient à ces spécialistes du diagnostic la possibilité de traiter : drainer un abcès ou un hématome, réséquer une petite tumeur, dilater un conduit ou une artère, implanter une prothèse, un stent…

Le plus curieux est qu’on ne parle d’ailleurs pas d’un gastroentérologue, cardiologue, radiologue ou pneumologue invasif mais bien d’un gastroentérologue interventionnel, d’un cardiologue interventionnel, d’un radiologue interventionnel et d’un pneumologue interventionnel. L’adjectif « invasif » a été oublié lorsqu’il a fallu caractériser l’évolution des médecins et il reste réservé aux seuls chirurgiens. Il y a une médecine interventionnelle et une chirurgie mini invasive. L’invasion restera t-elle donc toujours chirurgicale?